
« Ragouj », un spectacle, genre comédie musicale, haut en couleur qui en met plein la vue, a été donné lors de l’ouverture de la 59e édition du Festival international de Hammamet devant un public conquis.
La Presse — Dans le domaine artistique en Tunisie, la tendance consiste à transformer un feuilleton à succès soit en film ou encore en spectacle. Le contraire est aussi vrai. Un film peut être converti en feuilleton. Les exemples ne manquent pas. « Sabak el Khir » et « Sahbek Rajel » de Kais Chekir ont connu une mutation réussie passant de films à feuilletons ramadanesques. De même « Nouba, Ouchek Edounia » et actuellement « Ragouj » d’Abdelhamid Bouchnak, de feuilletons, ils ont évolué vers la scène pour devenir des spectacles drainant un public nombreux.
Profitant du succès des deux saisons de la série télévisée « Ragouj » et « Ragouj el Kenz », le réalisateur Abdelhamid Bouchnak en a fait un spectacle vivant pour la scène. Après l’avoir présenté à la clôture de la 49e édition du festival de Dougga, le voilà débarquant, hier soir sur la scène du théâtre de plein-air pour assurer l’ouverture de la 59e session du Festival international de Hammamet.
Précédé d’une bonne réputation, le spectacle s’est joué à guichets fermés et le public déjà conquis à l’avance a réservé un accueil des plus chaleureux aux artistes. « Ragouj », palindrome de « Jougar » (village situé dans la délégation d’El Fahs) rendu célèbre grâce au feuilleton, est le microcosme d’une société fermée et repliée sur elle-même qui refuse toute intrusion étrangère dans ce village isolé où sévissent corruption, passe-droits et abus de pouvoir.
On retrouve des protagonistes du feuilleton en costumes bariolés dans un décor chargé, évoluant sur des airs de musique tzigane. Youssef, El Wral, Dinari, Nssima, Mahbouba, Pedro, Chama, Abess, Othman, Manoubia, Mabrouk et IDA en sont les principaux qui ont meublé durant près de 3h00 un spectacle haut en couleur dans lequel se sont succédé des séquences phares du feuilleton. Trois écrans ont été installés transmettant des scènes du feuilleton que le spectacle ne pouvait pas reproduire.
Entre drame social, mélodrame et romance, « Ragouj-Le spectacle » offre une panoplie de figures représentant des échantillons de la société : Moncef El Wral, qui dit être un porc, symbolise la figure du capitaliste invétéré et sauvage qui, à l’image d’un rouleau-compresseur, menace de tout détruire sur son chemin pour arriver à ses fins et dominer le village. Il suscite la peur et la méfiance. De son côté, Dinari, est la figure type de l’administration. Maire de Ragouj, véreux et sans dignité, prêt à manger à tous les râteliers (sa célèbre phrase « Tu manges je mange »).
Corrompu jusqu’aux os, il impose la loi sur les plus faibles. Et puis il y a les autres du plus faible au plus fort, de l’honnête au plus crapuleux. Un univers manichéen où se côtoient le bien et le mal et où le fin mot de cette chronique villageoise est que le trésor tant convoité est cette eau si précieuse qui jaillit sur l’écran en fin de spectacle. On aurait bien aimé voir en vrai les comédiens aspergés de cette eau pure et vivifiante.
120 artistes entre acteurs, danseurs, musiciens et techniciens sont réunis dans ce spectacle, qui, somme toute, reste une synthèse du feuilleton. La musique live créative, inspirée de celle de Goran Bregovic (Film « Le temps des gitans » d’Emir Kusturica), signée Hamza Bouchnak, a la part belle.
L’orchestre, composé d’à peu près une cinquantaine d’instrumentistes, occupe une grande partie de la scène ce qui a réduit en quelque sorte les déplacements des comédiens et surtout des danseurs. Par ailleurs, des compositions de Ridha Diki Diki et de Hedi Guella ont enrichi certaines scènes. La chorégraphe et danseuse Oumaima Manai a réussi à restituer l’univers singulier de « Ragouj » en se basant sur les gestuelles des ouvriers agricoles dans une chorégraphie à la fois contemporaine et traditionnelle.
Les comédiens : Walid Ayadi (Youssef), Fatma Ben Saidane (Manoubia), Yasmine Dimassi (Nsima), Fatma Sfar (Mahbouba),Aziz Jebali (Mohsen Loural), Saber Oueslati (Dinari), Bahri Rahali (Abess), Rim Ayed (Chama), Hela Ayed (Rosa), Houssem Ghribi (Ifa), Mahmoud Essaidi (Pedro) et d’autres, rompus à leur rôle, ont adopté un jeu tantôt réaliste tantôt fantasmé suscitant beaucoup d’émotion chez le spectateur.
Tout ne peut pas être mis dans cette création dont les absents Chedly Arfaoui et Kafon. Ce dernier est décédé quelques semaine avant la réalisation du spectacle et avait pour souhait de monter sur la scène du Théâtre de Hammamet. Abdelahamid Bouchank s’est servi de l’IA pour restituer sa présence et lui permettre de chanter et de s’adresser au public. C’est avec cette séquence émouvante que se termine cette fiesta.
Le public, lampe des portables allumée, a rendu hommage à cette présence-absence et salué la réalisation d’Abdelhamid Bouchnak qui ne cesse d’essayer d’innover et de créer un style qui trouve l’adhésion d’un large public.